Présentation du projet
Echi – riflessi
(de Narcisse à Echo)
Les récits mythologiques d’Echo et de Narcisse au livre III des Métamorphoses d’Ovide (vers 356-509) présentent successivement deux variantes d’un même schéma narratif dans une histoire croisée. La nymphe Echo est condamnée, à la suite d’une vengeance de Junon, à répéter seulement les paroles prononcées par les autres. A la suite d’une équivoque, elle fait l’expérience douloureuse de la différence dans sa rencontre avec Narcisse (dont elle s’est éprise) et dans son rejet immédiat par ce dernier. Narcisse, également objet d’une vengeance divine, s’éprend de sa propre image, et connaît la même impossibilité à réaliser son désir, jusqu’à sa mort et sa métamorphose.
Chaque fois le personnage central est sous l’emprise d’un désir (physique) qu’il ne peut réaliser ; il se trouve alors conduit inexorablement à une dégradation radicale de son être, jusqu’à sa disparition et sa transformation. Echo se caractérise par l’univers des sons et de l’audition, tandis que Narcisse évolue dans le monde des images et de la vision. Tous deux sont bloqués par le mécanisme de la répétition : répétition des paroles pour Echo, renvoi de sa propre image pour Narcisse. Leur métamorphose est en quelque sorte inexorable : transformation en phénomène physique pour Echo, et en fleur pour Narcisse, en attendant de devenir un symbole.
Cette histoire mythologique peut se lire sur un plan plus philosophique comme la douloureuse expérience de la différence, l’impossibilité de sortir du mécanisme de la répétition (Echo est prisonnière de l’obligation de répéter ce qu’elle entend, et Narcisse, obnubilé par son propre reflet) et l’affirmation de l’incommunicabilité des êtres.
Les développements artistiques, littéraires, picturaux et musicaux de ces récits sont certes nombreux, du Caravage à P. Valéry, de C.W. Gluck à R. Tessier (l’Ombre de Narcisse – 1993), même si la quasi-totalité des références porte exclusivement sur l’histoire de Narcisse, choix dû vraisemblablement à la prééminence culturelle de la vision sur l’ouïe, de l’image sur le son.
Sur un autre registre, l’histoire d’Echo et de Narcisse se présente aussi comme une métaphore « matérialiste » de la création ; le petit tour de force que représente chez Ovide le dialogue entre Echo et Narcisse nous fait assister à la naissance du sens à partir d’un principe formel (exploité sous une forme embryonnaire) que nous pourrions appeler « aphérèse » (répétition d’un mot ou groupe de mots en coupant le début). C’est montrer par l’exemple que de la répétition du même (l’écho) peut naître l’autre (le sens dans une dimension strictement littéraire). Cette problématique trouve une descendance chez Raymond Roussel, l’Oulipo et Georges Pérec par exemple.
L’objectif artistique initial de ce projet était de mettre en regard une série d’autoportraits du peintre italien Giusto Pilan et ma cantate pour voix d’alto et alto à cordes autour de cette thématique (identité, répétition et différence) illustrée par un sujet mythologique, l’histoire d’Echo et de Narcisse. Le titre de la manifestation « echi – riflessi » reprend le titre d’un tableau de Giusto Pilan « Echi », qui a aussi donné son titre à la cantate ; le sous-titre en français, « de Narcisse à Echo » renvoie aux textes d’Ovide et à l’accent porté sur l’histoire d’Echo, à rebours de la plupart des oeuvres.
La forme générale de la manifestation associait des lectures de textes (une traduction personnelle d’Ovide, le poème « pietra e polvere » de Branco-Isic Zduc, une présentation de Giusto Pilan) et un programme musical, joué par le duo Contemporanea (voix d’alto et alto à cordes), au milieu d’œuvres picturales de Giusto Pilan et Christian Gosselin.
Damien Charron